Dans les anecdotes de la vie de la bibliothèque, il y a les surprises ! Ainsi lorsque, le Père Midon, supérieur du Grand séminaire découvrit une lettre autographe de Saint Pierre Fourier, pliée dans un livre. Ou encore, par deux fois, le plaisir de trouver un « canivet », image travaillée au canif par les carmélites, souvent du XVIIIe siècle, toujours en feuilletant un volume du fonds ancien. Une autre fois, un lecteur qui avait demandé la consultation d'une liasse d'archives anciennes intitulée « Divers XVIIIe siècle » nous a signalé la présence d'une lettre sur parchemin, signée par le duc de Lorraine René, le 24 avril 1462 (elle est reproduite ici)
Tout récemment, un jeune historien demandait à consulter le Dictionnaire des cas de conscience par De Lamet et Fromageau, édité à Paris en 1733. Or voici que, reprenant les deux volumes in-folio, je les feuilletai et trouvai que les pages de garde étaient couvertes d'images de piété. (Cela me rappelle une série d'ouvrages lorrains de la bibliothèque du grand séminaire de Metz dont les gardes sont ornées de toute une collection de billets de banque !) Même après seize années à la bibliothèque diocésaine, il me reste beaucoup à découvrir !
Les deux volumes du Dictionnaire comportent chacun des collages sur deux pages de garde, en avant et une page en arrière. Parmi les images, deux sortent du lot et sont collées sur la même page de garde au début du deuxième tome.
La première est consacrée à Saint Bernard de Menthon (vers 996 – 1081, image reproduite ci-contre), chanoine régulier de Saint Augustin. Il est connu comme le fondateur des hospices placés dans les cols alpins pour secourir les voyageurs, comme au Mont Joux qui reçut comme patron Saint Nicolas et que l'on connaît à présent comme « le Grand Saint Bernard ».
Les pèlerins pouvaient non seulement être victimes de la montagne ou du climat, mais aussi de pillards sarrasins ou hongrois ! C'est pourquoi, Bernard de Menthon est représenté en costume de chanoine tenant une étole terminée par une chaîne qui tient captif un dragon. La figure centrale qui représente le saint est surmontée d'une notice biographique résumée, avec la date de la fête, le 15 juin, fête qui a été transférée au 28 mai, en 1922. Au-dessous, se trouve une prière et, tout autour, toujours en latin – ce qui ne rend pas l'image accessible au petit peuple – des scènes de la vie de Bernard de Menthon. Ainsi, dans la colonne de gauche, en partant du bas : Il délivre Pavie de la peste, chasse les sauterelles, soutient celui qui tombe, fait parler un muet, rend la lumière à un aveugle, ressuscite un mort, obtient un enfant pour une femme stérile. Les quatre figurines du haut concernent sa vie : il choisit St Nicolas comme patron (pour son refuge), il se déplace miraculeusement, fonde un hospice, apparaît à une mère. En descendant la colonne de droite : il secourt les naufragés, détourne la tempête, éteint un incendie, délivre des possédés, arrête les eaux etc.
Ce qui retient l'attention, c'est que ces épisodes « biographiques » reprennent des passages très connus du livre d'Isaïe, utilisés dans les évangiles comme une sorte de description du salut apporté par le Christ. La note de la Traduction œcuménique de la Bible pour la réponse de Jésus aux envoyés de Jean le Baptiste (Matthieu 11, 1 à 6) indique qu'il s'agit d'un assemblage de textes d'Isaïe : 26, 19 (morts), 29, 18 (sourds), 35, 5-6 (aveugles, sourds, boiteux, pauvres). L'écriture hagiographique est pleine de ces stéréotypes qui peuvent avoir une véritable origine biographique ou montrent simplement que le « saint » était comme un autre Christ.
De chaque côté de la grande image de Bernard de Menthon, des collages de vignettes représentent une barrette (deux fois), une calotte et un collier avec une croix, comme en portaient peut-être les chanoines de Saint-Augustin.
Collée juste en dessous, se trouve une autre image (non reproduite) qui se présente comme une bande dessinée (sans les bulles !) et qui est coloriée au pochoir. Neuf scènes non identifiées, placées sur trois hauteurs avec chaque fois une scène centrale qui occupe le double d'espace par rapport aux scènes de chacun des côtés. Les personnages : une religieuse et un religieux, ailleurs deux religieux et, dans presque chacune des scènes, des animaux (moutons, cerf, lapin) qui évoluent dans un cadre champêtre (arbres, jardin). Cette image sans texte était sans doute destinée à un public populaire qui « lisait » directement l'histoire.
Sur la page suivante du tome deux, comme d'ailleurs également du tome premier, un autre document attire l'attention (voir ci-contre). C'est une « Information » sur une bénédiction « très efficace contre les plus rudes tempêtes », imprimée à Zug, en 1732. Cette ville est le chef-lieu du canton de Zug (ou Zoug), en Suisse, canton germanophone à majorité catholique. Le texte de la bénédiction est précédé de son histoire. Cette « Information » apprend qu'un couvent, en montagne, à une lieue de Lisbonne, a reçu cette prière et bénédiction d'un ecclésiastique inconnu, pèlerin, « ange envoyé par Dieu », après une terrible tempête qui avait détruit une partie du monastère et tué nombre de moines, afin que les religieux demeurent dans la montagne malgré le danger.
Il est précisé que le document est traduit de l'italien en français. Avec l'origine portugaise, cela en fait quelque chose qui dépasse le feuillet spirituel produit pour un lieu de pèlerinage particulier. Il y a un point commun avec Bernard de Menthon, la montagne et ses dangers.
La « prière et bénédiction très efficace contre les plus rudes tempêtes » surprend par son contenu. En effet, on s'attend à une prière de demande qui détaille les périls et appelle les secours. Il n'en est rien. C'est un credo où le Christ occupe presque toute la place. La fin, seule : « Jésus Christ est auprès de nous avec Marie » introduit la Vierge sans pour autant que la prière s'adresse à elle. Aucun saint n'est mentionné. Et enfin, une injonction, à la manière des rituels d'exorcismes : « Fuyez, vous esprits ennemis ». Les derniers mots sont une triple invocation à Dieu. La prière doit être accompagnée de trois « Pater » et trois « Ave Maria », mais cette recommandation paraît presque insolite, d'un autre style que la prière, peut-être ajoutée machinalement.