Les apparences sont souvent trompeuses. Il y a quelques semaines, en parcourant les rayons de la Bibliothèque diocésaine à la recherche dun ouvrage de spiritualité, notre attention a soudain été retenue par deux magnifiques reliures en cuir rouge ornées de motifs compliqués et dorés datant du XVIIIe siècle. Grande fut la déception : cétaient des ouvrages très communs, plusieurs fois réédités, quon découvre chez quasiment tous les bouquinistes. Lobjet était joli, mais son contenu nétait pas à la hauteur de notre attente. En revanche, entre ces deux splendides éditions se trouvait une sorte de petit cahier. Pour lui, pas de reliure en cuir, un simple papier grossier de couleur grise que le temps a largement sali. En louvrant, notre surprise fut grande : une centaine de pages dimages et de mots épars. Intrigué, nous regardons la page de garde et nous découvrons une Bible entièrement composée de rébus. Voilà qui est original et qui mérite une courte étude.
Lauteur tient à justifier lutilisation dimages pour expliquer les mystères et la vérité de la religion. Pour cela, il se sert de lexemple des anciens égyptiens et de leurs hiéroglyphes qui défient le temps.
Sous forme de dessins ou de caractères imagés, ils parlent des croyances, des peurs et des espoirs dune civilisation disparue.
Mais il tient aussi à replacer son travail dans une perspective plus chrétienne. Il sattarde donc longuement sur Enoch qui, dans lEcclésiastique (49, 14), est considéré comme un des patriarches les plus importants de lhistoire biblique : Personne sur terre ne fut créé légal dEnoch, cest lui qui fut enlevé de la terre.
Or, on lui attribue le Livre dEnoch, ouvrage renfermant de nombreuses visions apocalyptiques où il est question du Messie, de lEnfer et du Jugement dernier. Il sagirait en fait dun texte écrit en Palestine, sans doute par des Hassidim, et fini vers 64 avant Jésus-Christ.
Lauteur de notre Bible en images préfère rappeler que Enoch aurait gravé le texte de ses révélations sur deux grandes colonnes, une de fer et une de pierre, pour les préserver des attaques du temps.
Il aurait mis en images les secrets les plus cachés de son énorme sagesse (p. 3).
Ayant placé son livre sous légide de lAntiquité qui plaît tant aux hommes du XVIIIe siècle et dun patriarche, notre auteur peut sadresser directement à ses lecteurs.
Il les assure quils trouveront dans son ouvrage quelque chose de grand et en l'occurrence les paroles de la Vérité éternelle (p. 4). Il a le souci de sadresser à un vaste public et tient donc à retenir lattention des fidèles, et en particulier celle des enfants.
Il assure : les enfants tireront plus de joie et de bénéfices dun petit livre comme celui-ci en admirant en lespace de quatre semaines les plus belles sentences extraites de lEcriture Sainte qui sy trouvent, que de six mois détude dun gros livre (p. 5). Limage permet le jeu et une meilleure mémorisation.
Il affirme : Tous ceux qui sont doués de raison prennent soin de distinguer une chose de lautre et ont toujours le désir de représenter de manière vivante ou en images la forme de telle ou telle chose (pp. 4-5).
Il est bien conscient que son travail ne sadresse ni à ceux qui connaissent déjà les Ecritures, ni aux esprits forts qui se contentent de reproches très nets ou qui sen délectent (p. 5). Il souhaite toucher les gens simples et leur montrer que les Saintes Paroles sont cachées parmi nous comme les grappes de raisin sous les feuilles (p. 6).
Il ne cherche pas à égaler les philosophes ou les théologiens. Il veut montrer que chacun peut connaître la Bible et en retenir les passages importants. Il conclut sa préface en certifiant que son but nest pas autre chose que dhonorer le Dieu grand et vivant (p. 6).
Philippe Martin
Professeur d'histoire moderne à l'université de Nancy II