Il y a cent ans, la maison dédition Letouzey, à Paris, demandait à labbé Vacant de préparer lédition dun dictionnaire de théologie. Depuis quelques années, le Dictionnaire de la Bible était en cours de parution. Il semble que léditeur craignait lédition dune traduction de lallemand dun dictionnaire de théologie. Il fallait mettre rapidement en chantier une oeuvre originale.
Qui était cet abbé Vacant ? Il était né le 23 février 1852, à Morfontaine, en Moselle. Son père était cultivateur et maire de la commune. Dans sa famille, plusieurs prêtres : Charles Vacant, curé de Briey pendant vingt ans et son frère, directeur du séminaire des missions à Pondichéry pendant plus de quarante ans[1].
Alfred Vacant entre au Petit séminaire du diocèse de Metz, à Montigny, en octobre 1862. Il sera ensuite élève au grand séminaire de Metz, en 1871, puis, grâce à une bourse, au séminaire Saint-Sulpice à Paris. Le cardinal Guibert lordonne prêtre le 10 juin 1876.
La guerre de 1870 avait créé une frontière partageant la Lorraine. Le village natal dAlfred Vacant faisait partie du territoire mosellan que lAllemagne avait laissé à la France, préférant le sel de la région de Château-Salins. Comme dautres lorrains de Moselle, le séminariste Vacant change de département et de diocèse, il est incardiné dans le diocèse de Nancy.
Après un vicariat de deux mois à Saint Jacques de Lunéville, le voici nommé, en octobre 1876 - il na pas 25 ans - à la chaire de théologie du grand séminaire de Nancy, avec lenseignement de lapologétique et de la théologie fondamentale. Il aurait souhaité acquérir les grades universitaires à Rome, son évêque - Mgr Foulon - lui demande de les préparer à ses heures de loisirs et de se présenter aux facultés de théologie françaises renaissantes.
Labbé Vacant va donc cumuler lenseignement et la préparation dabord au baccalauréat de théologie et de droit canonique, auquel il est reçu à Poitiers, en 1877, puis à la licence de théologie, en 1878 et, cest à Lille quil présente ses thèses pour le doctorat, en 1879. Il était le premier docteur en théologie[2] des facultés récemment restaurées en France. Il publie dans les revues de sciences religieuses, mais il ne sarrête pas là. Il passe avec succès le baccalauréat ès Lettres à Lyon, suit les cours de la faculté des lettres de Nancy, de 1882 à 1884, dans la section de philosophie. Il est licencié, à Paris, en avril 1884.
Le jeune professeur est sollicité par les directeurs de revues, par le directeur du Dictionnaire dapologétique (31 articles), par M. Vigouroux pour le Dictionnaire de la Bible qui commençait à paraître. Il devient membre de sociétés savantes et de lAcadémie de Stanislas à laquelle il est élu en décembre 1888.
Pour donner aux prêtres les moyens détudier, il fonde, en 1890, une bibliothèque circulante, Bibliothèque contemporaine du clergé, qui deviendra la Bibliothèque Gorini : livres et revues sont mis gratuitement à la disposition des prêtres qui en font la demande. En mars 1890, il devient le directeur de la bibliothèque du grand séminaire. Il entreprend un catalogue général sur fiches qui est encore utilisé actuellement. Il connaît admirablement les fonds quil décrit dans une brochure publiée en 1897[3].
Cest la même année quil est sollicité pour prendre la direction du Dictionnaire de théologie catholique que veut publier léditeur parisien Letouzey. Cest un projet gigantesque. Labbé Vacant en sera larchitecte. La bibliothèque diocésaine a conservé une partie de limportant courrier nécessaire à cette mise en route. Le premier fascicule paraîtra en juin 1899.
Le XIXe siècle avait produit, en France, loeuvre éditoriale sans précédent de labbé Migne[4] : des centaines de volumes publiés en une génération. Les plus connus sont ceux consacrés aux Pères de lEglise (les Patrologies grecque et latine, 388 volumes[5]), mais les éditions de labbé Migne ont couvert tous les domaines des sciences religieuses avec lEncyclopédie théologique (trois séries : 172 volumes). Chaque discipline avait été traitée en un ou plusieurs volumes par les spécialistes de lépoque. La rapidité saccompagna parfois de quelques défauts, particulièrement dans la qualité critique des textes publiés. Mais on ne peut être quadmiratif devant lampleur de loeuvre réalisée.
A Nancy, on avait connu le travail impressionnant de labbé Rohrbacher[6]. Son Histoire de lEglise est certes largement dépassée à présent, pourtant - là aussi et à la même époque - quelle étonnante productivité pour un homme seul qui ne dispose pas déquipes détudiants ou de nègres : la première édition, composée en cinq ans (1842-1847) comprend 29 volumes.
A laube du XX e siècle, le projet des éditions Letouzey est ambitieux : proposer une nouvelle encyclopédie catholique en cinq dictionnaires monumentaux. Le Dictionnaire de la Bible, commencé dès 1891 par labbé Vigouroux, un Dictionnaire de théologie catholique, un Dictionnaire darchéologie chrétienne et de liturgie, un Dictionnaire dhistoire et de géographie ecclésiastiques et un Dictionnaire de droit canonique. Les ouvrages avanceront à des rythmes différents. Le Dictionnaire de la Bible sera achevé avant la guerre de 1914. Cependant, dès la parution du dernier fascicule, il faut penser à un Supplément qui devient lui-même un véritable dictionnaire et dont la parution, commencée en 1928, nest pas achevée à ce jour : il est arrivé à Songe et cest le tome XII. Le Dictionnaire darchéologie chrétienne et de liturgie est terminé depuis 1959 et il demeure un outil de référence. Le Dictionnaire de droit canonique, commencé en 1935, est complet en 1965, en 7 volumes. Quant au Dictionnaire dhistoire et de géographie, il en est, en février 1997, à la lettre J (tome 26) et il poursuit son chemin lentement.
Pour le DTC, il fallait un maître doeuvre compétent et jeune. Labbé Vacant sétait fait connaître, avait des titres reconnus et il navait, alors, que 45 ans. Il réfléchit, accepte et prépare un plan densemble. Il se met ensuite à la recherche de collaborateurs. Ce sera une grande oeuvre collective. Il est facile dimaginer les tracas de labbé Vacant : courriers, retards, relances[7]...
Labbé ne verra que le début de son Dictionnaire, les 5 premiers fascicules. Il navait jamais été robuste, ne se ménageait pas, travaillait beaucoup... en mars 1901, la grippe loblige à saliter, il semble guéri, se remet trop vite au travail, la fièvre revient le 19 mars. Il parvient tout juste à célébrer leucharistie, doit se recoucher. Il décède le 2 avril à lâge de 49 ans.
Le dictionnaire est achevé par Joseph-Eugène Mangenot[8] puis par labbé Emile Amann[9].
Sur les rayons des bibliothèques, le DTC est imposant : 30 volumes, plus trois volumes de tables, plus dun mètre cinquante ! Comment a-t-il vieilli ? Curieusement, le même éditeur produisait, bien avant la fin de la parution du DTC, en 1925, un autre dictionnaire : le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, dirigé par labbé Joseph Bricout. Cet ouvrage nest plus guère consulté quà titre de document historique. Letouzey récidive en 1948 et lance Catholicisme sous la direction de labbé Jacquemet. A la différence du monumental DTC, il devra sagir dun dictionnaire original, moderne, prenant les questions dans leur état présent, mais rédigé avec un grand souci de concision.... Prévu en sept volumes... il en est - près de cinquante ans plus tard - au quatorzième volume et nest pas terminé (lettre T).
Cest vrai, malgré les excellentes tables qui comportent des articles nouveaux[10], des additions biographiques et bibliographiques, le DTC a vieilli. Pourtant, alors quun siècle et un concile sont passés, loeuvre lancée par labbé Vacant demeure très utile à consulter. Il est la somme de la pensée théologique française pendant un demi-siècle[11].
Laissons la plume (relayée par lordinateur !) à labbé Mangenot. Voici le dernier paragraphe de la Préface quil donne au premier volume complet du DTC, en 1903 :
Le distingué théologien, qui a élaboré avec autant de précision et de justesse que dampleur le vaste plan du Dictionnaire de Théologie catholique, na pu quen commencer lexécution et la réalisation. La mort la frappé au début de sa grande entreprise. En succédant à M. labbé Vacant, notre maître et ami, dans la direction de son oeuvre, nous veillerons à nen pas modifier lesprit, à en expliquer fidèlement les principes et, avec laide de nombreux collaborateurs de son choix, à ne pas être trop inférieur à la lourde tâche que nous avons assumée.
Et le chanoine Louis Köll, dans son magnifique livre : Ils ont voulu être prêtres : histoire dun Grand Séminaire, Nancy-Bosserville, 1907-1936[12], écrit : Une nouvelle période très brillante souvre rue de Strasbourg, marquée par la valeur intellectuelle et spirituelle du corps professoral et des élèves. Limpulsion de Mgr Lavigerie donne entre 1880 et 1910 les résultats escomptés. Au début du XX e siècle, ils se concrétisent dans une oeuvre collective étroitement liée au Grand Séminaire de Nancy : Le Dictionnaire de théologie catholique.
Sans doute ne verra-t-on plus de réalisations dune telle ampleur : les souscripteurs étaient les prêtres, ils sont maintenant peu nombreux. Cependant les moyens actuels permettraient de loger les 33 volumes sur les 12 cm dun CD-Rom. Il serait relativement peu coûteux déditer sous cette forme de nouvelles versions dun grand dictionnaire - contrairement à lédition papier - comme on le voit avec les encyclopédies qui sont dès à présent disponibles (Universalis, Encarta, Hachette, Larousse...). La consultation de ces documents dun genre nouveau permet des recherches beaucoup plus rapides et efficaces, notamment par les liens hypertextes. Et il est possible dutiliser en plus du texte, le son et limage, fixe ou animée, réelle ou virtuelle, comme la reconstitution de Cluny.
Un siècle après lentreprise de Vacant, nous avons des moyens sans commune mesure avec les siens. Il y a un public intéressé par les sciences religieuses. Notre génération saura-t-elle produire les oeuvres adaptées à ce temps ?
Bernard Stelly[13]
P.S. Les éditions Beauchesne viennent de faire paraître le volume Les Sciences religieuses : le XIXe siècle, 1800-1914 de leur Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, sous la direction de François Laplanche (1996, 678 p., 480 F). Lintroduction mise à part, il sagit de notices biographiques des écrivains, théologiens, philosophes, historiens etc qui ont marqués le XIXe siècle. Ce sera un précieux ouvrage de référence pour les chercheurs et les bibliothécaires, même si, hélas, les bibliographies sont bien succinctes et renvoient souvent à dautres dictionnaires. Il ny a - bien sûr - aucune illustration.
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[1] Cf. LAbbé Alfred Vacant par labbé E. Mangenot, Nancy, 1901 (extr. de la Semaine religieuse), 45 p., un portrait reproduit ci-dessus. LAbbé Alfred Vacant (1852-1901) : ses origines, sa vie et son oeuvre par Claude Vacant, Versailles, 1990, 54 p., ill. Et les notices dans les dictionnaires.
[2] Cf. Dr. Jules Didiot, Une thèse de doctorat en théologie, Arras, 1879. Vacant soutien sa thèse le 7 août 1879.
[3] La Bibliothèque du Grand Séminaire de Nancy, publiée dabord dans les Annales de lEst, puis à part, Nancy, 1897, 111 p. Quelques exemplaires sont encore disponibles. Il faudrait écrire lhistoire de ce siècle passé depuis 1897 à la bibliothèque...
[4] La science catholique : lEncyclopédie théologique de Migne (1844-1873), entre apologétique et vulgarisation. Sous la dir. de Claude Langlois et François Laplanche. Paris : Cerf, 1992. Migne et le renouveau des études patristiques. Actes du colloque de Saint-Flour, 7-8 juillet 1975, édités par A. Mandouze et J. Fouilheron. Paris : Beauchesne, 1985. A.G. Hamman, Jacques-Paul Migne : le retour aux Pères de lEglise. Paris : Beauchesne, 1975. Un ouvrage qui vient de paraître nomme labbé Migne : le plagiaire de Dieu !
[5] La patrologie latine est disponible sur 4 CD-Rom... qui coûtent environ 250.000 F.
[6] René-François, né à Langatte, le 27 sept. 1789, ordonné prêtre en 1812, professeur au grand séminaire, dabord dEcriture sainte de 1836 à 1842, puis dhistoire ecclésiastique de 1842 à 1849 et bibliothécaire à partir de 1836 jusque 1849. Il est mort à Paris le 17 janvier 1856.
[7] Les archives de la bibliothèque diocésaine conservent plusieurs liasses de ces courriers provenants de toute la France et au delà. Les lettres sont classées dans lordre alphabétique des expéditeurs. On y trouve tous les collaborateurs des premières années et aussi - nombreux - ceux qui ont décliné linvitation à collaborer.
[8] Né en 1856, à Gémonville, études au grand séminaire de Nancy, où il aura Vacant comme tout jeune professeur. Collaborateur de la première heure du Dictionnaire de la Bible avec le premier article Aaron (1899). Il a signé 145 études, notices ou articles dans le DTC quil a dirigé jusquau fascicule 53. Professeur à lInstitut catholique de Paris. Il est mort en 1922.
[9] Originaire de Pont-à-Mousson où il est né en 1880, il sera professeur à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg. Il reprend le DTC à la mort de Mangenot, en 1922. Il nen verra pas la fin, il meurt en 1948.
[10] Notamment un important article sur Vatican II (col. 4286 à 4354) ou un index - pour remplacer labsence darticle - par exemple : Femme.
[11] Dans : Catholicisme, art. Dictionnaires, III-744.
[12] La période évoquée est celle qui suit la guerre de 1870. Louvrage est paru aux Presses Universitaires de Nancy, 1987 ; citation : page 55.
[13] A la demande pressante du Bureau de lABEF, lauteur doit ajouter quil a découvert en faisant ce petit travail quil était cousin de Vacant. Il espère cependant passer sans problème le cap de la 49e année.