Les portraits d'Augustin

A quoi ressemblait Augustin Schoeffler ? Un débat existe à ce sujet depuis longtemps. Or il est attesté qu'il a posé pour un daguerréotype avant son départ en mission à l'automne 1847. Il écrit d'Anvers à sa tante Elise Schoeffler et à mademoiselle Klein, le 14 octobre 1847 : "Avez-vous reçu le portrait[1] que je vous ai envoyé ?" Par ailleurs, des témoins affirment que l'abbé Stricher a reçu, lui-aussi, un portrait d'Augustin, sans doute à la même époque.

Cette technique inventée par Louis Daguerre, en 1837, connut une vogue rapide. Ce n'était pas encore la photographie telle que nous la connaissons : cela ne pouvait se faire qu'en studio et il fallait, au début, poser une demi-heure immobile !

Ces portraits ont été reproduits et ... retouchés après le martyre d'Augustin. Ce n'était plus un souvenir de famille, le cliché était devenu objet de vénération et il devait correspondre au goût et à l'attente du public. C'est la période d'essor, dans l'art religieux, de ce qui est désigné sous le qualificatif peu élogieux de "sulpicien". Si l'on compare le portrait d'Augustin[2], réalisé en 1847, avec celui du populaire Théophane Vénard, réalisé en 1851, on réalise pourquoi il "fallait" retoucher celui d'Augustin. La prise de vue a été faite en légère contre plongée (du bas vers le haut), ce qui donne une impression de froideur. Théophane a la tête un peu baissée et il regarde l'objectif, Augustin a les yeux tournés vers sa droite. Rapidement les retouches vont corriger la froideur en ajoutant un très léger sourire, corriger ce regard en le tournant vers le ciel.

Pour connaître le vrai visage d'Augustin, la chance est avec nous. Il n'existe pas un cliché non retouché, mais certainement au moins deux : en effet, Augustin Schoeffler a posé avec deux de ses condisciples du Séminaire des Missions Etrangères de Paris[3]. Et c'est son profil que nous voyons dans l'album des missionnaires, cliché reproduit ici. Aucun trucage, aucune retouche.

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Lorsque le chanoine Mangenot prépare sa biographie sur Augustin, il envoie à l'abbé Martin, curé de Phalsbourg, un véritable questionnaire[4]. On y trouve ceci :

"La photographie faite à Phalsbourg par Zanover[5] reproduit-elle exactement les dimensions du daguerréotype ?

- Le portrait, la photographie faite à Phalsbourg n'a pas été faite d'après le daguerréotype, mais d'après une autre photographie : M. l'abbé Ehalt[6], qui a parfaitement connu le bienheureux, trouve que cette photographie est très ressemblante[7]. [...]

Monsieur Stricher[8] avait le daguerréotype en question, mais on ne sait pas ce qu'il est devenu."

Il y a un certain flottement... Et la tante Elise n'est plus là pour donner son avis, elle est décédée à Lunéville en 1883. Le chanoine Mangenot poursuit ses recherches, sa patience s'illustrera plus tard dans l'édition du fameux Dictionnaire de Théologie Catholique. L'abbé V. F. Schoeffler, curé de Willerwald et cousin d'Augustin, lui écrit, le 16 novembre 1900 : " J'ai l'honneur de vous adresser la reproduction du Daguerréotype représentant le Bienheureux Augustin Schoeffler avec le costume annamite[9]. Le Bienheureux l'avait envoyé de Paris à Mr. l'abbé Stricher, alors vicaire à Phalsbourg. A la mort de Mr. Stricher, j'ai prié sa soeur de me céder ce daguerréotype. A trois reprises différentes, elle me l'a refusé, et au 3e refus, elle a ajouté qu'elle l'avait donné à son frère, employé dans la Savoie. Mais ce n'était que le cadre qu'elle avait donné. Par une Providence particulière, le beau-frère de Mr. Stricher, Joseph Meyer, a détaché du cadre le portrait du Bienheureux, ainsi que celui de Mr. Krick[10], et les a remis à Mr. l'abbé Marchal, curé d'Archeviller, voulant, disait-il, sauver ces deux figures. Au mois d'août de cette année, me trouvant chez Mr. l'abbé Marchal, on parlait des deux portraits du Bienheureux (l'autre était dans la possession de sa tante Elise) et je déplorais la perte de celui qui appartenait à Mr. l'abbé Stricher, tout en en faisant la description ; tout à coup, Mr. Marchal dit : Je crois que je l'ai. Il me le remit après m'avoir raconté comment il l'avait reçu.


"Avant de vous servir de cette reproduction, je vous prierai d'attendre encore quelques semaines, car j'ai fait remettre l'original à un photographe de Saverne pour la faire reproduire, et établir une comparaison. Je vous enverrai la 2e épreuve avec l'original qui sera conservé dans la bibliothèque du grand séminaire de Nancy[11].

"Quant au 1er portrait authentique que le Bienheureux avait envoyé à sa tante, je ne sais où le trouver, n'étant plus en relations avec ses nièces. Mais je l'ai fait reproduire, comme vous avez pu le voir dans la 2e édition de Mr. le chanoine Finot.

"En Lorraine, surtout à Phalsbourg, cette reproduction a été renouvelée maintes fois, et il me semble que chaque photographe y introduit un changement, presque imperceptible, il est vrai, mais ce n'est plus tout à fait le même regard inspiré de la 1ère épreuve. J'ai heureusement gardé le numéro du cliché du photographe Odinot[12], c'est le n° 32493. Si Mr. Odinot l'a conservé, vous trouverez-là le véritable portrait du Bienheureux, et je vous permets et je vous prie de le faire reproduire pour la gloire du Bienheureux.

"La ressemblance la plus frappante se trouve dans le portrait avec le costume annamite a déclaré Mr. Ehalt, son condisciple et son ami. L'autre portrait ne déclare pas assez franchement la figure osseuse[13] que possédait le Bienheureux."


Ce précieux témoignage éclaire quelque peu notre problème, sans toutefois lever toutes les ambiguïtés. Il semble bien qu'Augustin ait fait parvenir, de Paris, au moins deux portraits : l'un à sa tante Elise, l'autre à l'abbé Stricher. Par contre, il est tout à fait invraisemblable qu' Augustin ait posé, à Paris, en costume annamite. Une autre lettre de l'abbé V. F. Schoeffler, datée du 29 juillet 1903, indique ceci : " Je vous envoie ci-joint un portrait du Bienh. avec costume chinois. (Le costume annamite doit être le même, suivant le dire d'un missionnaire.) C'est le P. Victor Laroche, neveu de Mr. l'archiprêtre de Sarralbe, revenu de Chine pour cause de maladie, qui m'a donné son portrait fait en Chine. Le photographe a adapté au buste la tête du martyr, et ainsi l'on a à peu près sa tenue de missionnaire, moins la barbe, la tête rasée et la mèche de cheveux[14].

"L'autre portrait avec turban[15], dont je vous ai envoyé un exemplaire, n'a d'autre valeur que celle de reproduire plus fidèlement les traits de la figure, surtout de la bouche et du menton, suivant le témoignage de son ami Mr. l'abbé Ehalt."

Nous trouvons encore un autre témoignage dans la documentation réunie par M. le chanoine Mangenot. Il s'agit d'une carte de visite, non datée, de l'abbé Ch. Pernot, vicaire à St Fiacre de Nancy qui " retourne à M. Mangenot la photographie du Bx Schoeffler. Monsieur le Curé[16] a donné la même appréciation ; il y a quelque chose qui rappelle la figure du Bx, mais selon lui elle est idéalisée. Il est tenté de croire que la photographie de M. le Curé de Phalsbourg a été faite non pas directement mais d'après un dessin plus ou moins fidèle."

Nous ne pourrons pas conclure ce dossier définitivement : nous ne possédons pas le portrait avec turban, il existe des documents qui dorment dans des malles ou de vieux albums de photographies. Si cet article pouvait aider à les retrouver... Dans l'état actuel de la documentation, nous pouvons retenir :

- le premier cliché où Augustin est en compagnie de deux autres séminaristes des Missions Etrangères (il est à gauche, de profil). Voir également l'agrandissement... même s'il est de mauvaise qualité.

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- le deuxième est également indiscutable. Augustin a les mains dans les manches de sa soutane, il est sérieux, tendu, déterminé. L'épaule gauche est plus haute que la droite. Il pourrait s'agir du daguerréotype envoyé à la tante Elise ?

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- le 3e, sur carte postale, montre d'importantes différences :les épaules sont à la même hauteur, la tête est très légèrement relevée, le visage est arrondi, Augustin semble plus serein ; le tracé de la mâchoire est adouci. C'est ce cliché que l'on trouve dans la deuxième édition de la biographie par l'abbé Finot. Il n'est pas impossible qu'il s'agisse d'un autre daguerréotype ou plutôt d'un cliché retouché (mâchoire) à partir d'un autre daguerréotype. Ce serait celui envoyé à Stricher ? C'est ce cliché qui semble être à l'origine de ceux qui suivent et même du visage d'Augustin tel qu'il figure sur le tableau du martyre[17], tableau réalisé peu de temps après, au Vietnam, ce qui laisserait penser que le peintre avait un cliché... en effet, le jour du martyre, Augustin avait la barbe et ses cheveux étaient très courts comme l'indique le rapport de son évêque.

- le 4e est une image gravée avec légende en allemand reproduisant le 3e avec retouche "imperceptible". C'est la dernière avec le rabat.

- le 5e, image de piété imprimée entre 1857 et 1900 (il est "Vénérable"), gravure représentant Augustin en costume "chinois" ? : le visage est à nouveau retouché, notamment la bouche où l'on a comme un sourire obtenu en accentuant les plis de chaque côté de la bouche ; les yeux sont nettement plus tournés vers le haut ; en arrière fond des constructions orientales que l'on retrouve dans les deux clichés suivants ; attitude pieuse, avant-bras croisés sur la poitrine, main droite tenant la croix. Augustin n'a jamais ressemblé à ce portrait lorsqu'il était au Tonkin: il portait la barbe, avait la tête rasée, sauf une mèche à l'arrière du crâne...

- le 6e, image de piété, gravure imprimée à partir de 1900 ("bienheureux"), reprend le précédent avec d'importantes retouches au visage : Augustin a pris un coup de jeune.

- le 7e cliché n'a de commun avec les trois précédents que le costume ; le cliché a été retourné ; il est parent des précédents avec d'énormes retouches... c'est presque quelqu'un d'autre. On retrouve la mèche relevée et la position des cheveux autour de l'oreille. C'est une image imprimée par l'Oeuvre de la Ste Enfance : l'absence de mention "vénérable" pourrait indiquer une impression très tôt, entre 1852 et 1857.

- le 8e cliché a été imprimé avant 1900, puis l'image a été actualisée par un collage "le bienheureux" au dessus de la mention "le vénérable". La parenté est nette avec le 8e : le sens, tourné vers la droite ; le costume, avec cependant moins de plis et un col montant plus important. Le visage n'a plus qu'un lointain rapport avec les premiers clichés.

- le 9e cliché s'inspire manifestement du précédent au niveau du visage encore retouché... mais aussi de la série 5,6,7 (avant-bras croisés et arrière-fonds reprenant de façon très floue les deux bâtiments). Il s'agit d'une image plus récente que les précédentes, elle reproduit un tableau qui se trouve aux Missions Etrangères de Paris.

En résumé, mis à part le cliché de groupe (n° 1), on se trouve devant un premier ensemble (2,3,4) avec rabat, Augustin a les yeux légèrement tournés vers sa droite, mais la position des épaules indique qu'il y a deux clichés différents (2 et 3) ; puis un deuxième ensemble (5,6,), dérivant du cliché n° 3, en costume étranger, avec les bras croisés et la croix, les yeux sont davantage tournés vers le haut et un certain sourire ; le troisième ensemble (7,8) se caractérise par le renversement du cliché, le costume s'apparente à celui du 2e ensemble, mais le décor en arrière fond a disparu, l'attitude se rapproche du 1er ensemble, cependant les bras, dont on ne distingue que le haut, ne sont pas croisés. Enfin, le cliché n° 9 qui reprend un peu de chacun des autres sauf du n° 2.

Pardonnez-moi : vous avez peut-être une indigestion de détails. Essayez de vous faire une opinion par vous-mêmes en comparant les reproductions. Il ne s'agit pas d'imposer un portrait - on peut aimer les portraits idéalisés - mais d'essayer de retrouver à quoi ressemblait véritablement le jeune Augustin Schoeffler à la veille de son départ en Mission. Et il n'y a pas d'hésitation possible : seuls les clichés 1 et 2 nous donnent l'image "historique" de ce jeune homme de 25 ans. C'est effectivement un visage anguleux et non poupin, volontaire.

Ne serait-il pas judicieux de privilégier le véritable visage d'Augustin si nous voulons le rendre proche de notre temps qui apprécie de moins en moins les retouches qui trahissent en idéalisant. Osons donc retrouver - par delà les pieuses retouches - la vérité d'un homme qui part en Mission sans avoir pu faire ses adieux à ses parents, opposés à sa vocation, qui connaît, jusqu'aux derniers jours avant son départ, des manoeuvres destinées à le dissuader de partir et même des problèmes d'argent. Il n'a pas encore le sourire d'un bienheureux même s'il est très heureux de s'embarquer vers une terre connue pour être celle des martyrs.


Livres disponibles dans les bibliothèques :

  • - Abbé FINOT. - Vie et mort du Bienheureux Augustin Schoeffler : un martyr lorrain en Extrême-Orient. Metz, 1900, 2e éd., 157 p. avec un portrait.
  • - Abbé E. MANGENOT. - Le Bienheureux Augustin Schoeffler. Nancy, 1900, 105 p.
  • Disponible à l'association St Martin (Mittelbronn ; adresse p. 8)
  • - Abbé NOBLET & abbé BERLOCHER.- Un aventurier de Dieu : Augustin Schoeffler 1822-1851. Plaquette illustrée de 32 p., 1988 (2 éditions).
  • - St Augustin Schoeffler : 19 juin 1988 Rome - 28 août 1988 Mittelbronn. C'était hier, souvenez-vous aujourd'hui... Plaquette illustrée, 60 p., 1988.
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  • - Cassette vidéo, cartes postales, médailles...
  • - Visite de la maison natale et du musée.

Bernard Stelly

      
Gravure représentant Schoeffler réalisée pour Les bienheureux martyrs des missions étrangères de Launay, Paris, 1929.

Vous pouvez cliquer les images pour les agrandir.


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[1]Unique usage de ce mot dans les lettres connues à ce jour.

[2]Voir la première page du Bulletin des Amis de la Bibliothèque (1ère page de couverture).

[3]Voir la dernière page du Bulletin des Amis de la Bibliothèque (4e de couverture).

[4]La réponse est datée du 6 juin 1900. Archives de la Bibliothèque diocésaine de Nancy, dossiers Schoeffler.

[5]L'orthographe n'est pas sûre !

[6]Condisciple au séminaire de Nancy, il a -selon Finot p. 49-50 - reçu au moins une lettre d'Augustin. Il y a probablement une correspondance adressée à Ehalt dans les archives de l'évêché de Metz...

[7]Ce qualificatif est étrange. S'il s'agissait vraiment d'une photographie, la question de la ressemblance ne devrait pas se poser. On utilise ce terme pour une gravure ou un portrait robot reconstitué...

[8]1818-1884. Né à Arzviller de parents pauvres, ordonné prêtre à Nancy en 1846, il est nommé vicaire à Phalsbourg où il sera précieux pour essayer d'arranger les relations familiales difficiles. Il est mort en 1884, chapelain du pèlerinage qu'Augustin connaissait et aimait, celui de Bonne Fontaine. Nous connaissons onze lettres d'Augustin adressées à Stricher.

[9]Il ne peut s'agir que d'une adaptation et non d'un véritable cliché.

[10]Autre martyr, né à Lixheim, en 1819, missionnaire au Thibet où il a été assassiné en 1854. Qui pourrait retrouver ce cliché de l'abbé Krick ?

[11]Malheureusement ces documents ne sont pas à la bibliothèque diocésaine de Nancy.

[12]Célèbre photographe, rue St Dizier à Nancy ?

[13]C'est nous qui soulignons.

[14]C'est nous qui soulignons. Ce cliché est un montage.

[15]Publié dans la brochure en allemand d’après le livre de Finot : Ein Märtyrer aus Lothringen, Leben und Tod des seligen Augustin Schöffler, Metz, 1900, 128 p..

[16]L'abbé Auguste-Jean-Christophe Barbier, né en 1825, ordonné prêtre en 1849, nommé à St Fiacre en 1869. Il est un peu plus jeune qu'Augustin, mais il l'a connu au séminaire de Nancy.

[17]Voir la couverture du numéro 2 du Bulletin des Amis de la Bibliothèque Diocésaine (avril 1994).

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