Lexposition du 3 novembre 2002, à la Bibliothèque diocésaine, était consacrée à un hommage à Pierre Joubert, décédé en janvier. 25 panneaux, des posters et de nombreux livres étaient présentés. Ce dessinateur nest pas un inconnu pour ceux qui ont été scouts ou lecteurs de la collection Signe de Piste. Mais son oeuvre est beaucoup plus diversifiée comme les visiteurs ont pu le constater par ses nombreuses contributions aux éditions Marabout, Hachette, Ouest-France, Fleurus, Spes etc. Et Pierre Joubert a aussi illustré des thèmes religieux avec talent et originalité. Cest ce que nous allons essayer de montrer.
Le premier livre de fiction illustré par Pierre Joubert est celui dun jésuite, Maurice Rigaux[1] : Le jardin des mystères, publié par les éditions Spes en 1931 (2e éd. 1932). Quatre garçons en vacances, perdus dans une carrière, sendorment et entrent dans le Jardin des mystères du monde, de la foi etc. Les enfants rencontrent Jésus, Marie, Paul et même Méphisto ! Pierre Joubert a réalisé la couverture, Marie et les quatre enfants, et dix illustrations. Le trait na pas encore la simplicité expressive qui apparaît à la fin des années 1930. Qui du jésuite ou du jeune illustrateur de 21 ans est responsable du choix des sujets illustrés ? Le plus original est celui dune ville fantastique, toute de fer et dacier, avec au centre une tour gigantesque : plusieurs tours Eiffel lune sur lautre, pleine de monde qui festoye, qui chante, qui fait le péché ouvertement... - Les impies des derniers temps, dit tout haut Louis dont la voix tremblait, qui ont préféré au règne de Dieu le culte de Méphisto (p. 177). Joubert tente une représentation de cette ville où lhomme est en danger... Personnages inattendus dans cet ouvrage dinitiation religieuse : les indiens ! Avec sorcier et idoles (2 illustrations sur un total de 9).
Autre genre littéraire illustré par Pierre Joubert : la vie des saints. La merveilleuse légende de saint Georges, patron des scouts, de Jacques Michel [2], est publiée par les éditions Spes, (1934), préfacée brièvement par le maréchal Lyautey et approuvée par le chanoine Cornette, un des fondateurs des Scouts de France.
Pierre Joubert reprendra souvent la représentation de St Georges notamment pour des couvertures de la revue Le Scout de France, LEscoute, puis Scout [3].
Trois petits enfants, un conte brodé autour de la légende de St. Nicolas par Jacques Michel [4], paraît chez Alsatia, en 1940. Le graphisme semble pourtant apparenté à des dessins nette- ment antérieurs. Hélas, il faut admettre de la part de lauteur des aspects antisémites : le Père Fouettard est juif. Je suis né, il y a des centaines et des centaines dannées. Jétais juif. Je fis donc, comme il se devait, du commerce en mon pays, et jaccumulai ainsi de grandes richesses. Je ne faisais pas un bien louable métier. Le désir toujours plus grand que javais daugmenter mon trésor, me conduisait à profiter de la misère dautrui pour memparer adroitement de ses biens (p. 14-15). Il se fait voler son trésor par un gamin. St Nicolas intervient auprès de celui-ci pour quil rende le butin. Le riche juif se souvient de la parole de Jésus : Donne tous tes biens aux pauvres et suis-moi..., il distribue ses biens. A sa mort, le marchand juif est accueilli par St Nicolas et devient le compagnon de sa visite annuelle aux enfants. Un des dessins de Pierre Joubert ressemble trop à ceux de la future propagande de Vichy (page 16, voir ci-dessous).
Il ne faudrait cependant pas en tirer des conclusions hâtives. A cette époque, la liturgie catholique comporte encore, hélas, la mention de juifs perfides dans la liturgie du vendredi saint : oremus et pro perfidis Judaeis...
Dautres représentations de saints sont commandées à Pierre Joubert pour des couvertures ou des illustrations historiques. Marie, seule ou dans une scène des évangiles : Annonciation [5] ; arrivée à Bethléem [6] ; Noël [7], Vierge à lenfant [8] ; crèche pleine de fraîcheur dans Bayard n° 78 (1957). Une couverture de Scout pour Noël propose une composition originale. Bien avant Arcabas [9], Pierre Joubert tente avec succès une illustration théologique où le mystère de Pâques est présent dès la nativité : Marie tient en effet une croix sur laquelle est figurée lenfant Jésus.
Lalbum Badge blanc : fêtes de Notre-Dame et extraits évangéliques illustrés (Ed. de lOrme rond, 1984) contient des dessins originaux et des reprises des albums consacrés aux évangiles. Le dernier dessin figure une Vierge au Rosaire qui ferait une simple et belle Vierge de Lourdes (p. 47). Le baptême de Clovis par saint Rémi fait partie de lalbum consacré à Clovis aux éditions Hachette dans la collection Histoire-Juniors (1983, pages 18 et 19) et la couverture de 496, saint Rémi, au commencement chrétien de la France... de Rémi Fontaine aux éditions Elor (1995), illustration de la dernière période pendant laquelle Pierre Joubert ne voyait plus très bien. Jeanne dArc a droit à un traitement de faveur ; elle avait été canonisée en 1920. Elle est présente dans lalbum Clovis mentionné ci-dessus, en page de garde, au sacre de Charles VII [10]. Sainte Odile illustre la couverture dun almanach diocésain alsacien (plusieurs années). Joubert nétait pas le dessinateur des louveteaux, il a cependant représenté plusieurs fois saint François dAssise, notamment dans une série de quatre cartes postales imprimées pendant la guerre en zone occupée [11], où lon retrouve saint Georges et un saint pour chaque branche du scoutisme alors interdit dans cette partie de la France. Même sil tarde à être reconnu par lEglise, mentionnons Charles de Foucauld que Pierre Joubert dessine plusieurs fois : couverture du Marabout Junior n° 153 (1959) et dans lalbum de Marcel Santana : La vie exemplaire de Lyautey [12].
La série de romans historiques de Louis de Wohl aux éditions Alsatia sera loccasion de très belles jaquettes illustrées : saint Thomas (Orage sur Aquin, 1957), Le vainqueur de Lépante, saint Paul (Glorieuse folie, 1960) , par ailleurs patron des Routiers, le centurion du calvaire (Le témoin de la 9e heure, 1958), (Le lion de Navarre, 1956). Les saints patrons du scoutisme font partie du décor du local ; Beaumanoir [13] en donne des modèles à réaliser.
Dans les années quarante, paraît chez de Gigord, dans la collection Mowgli, donc à lintention des louveteaux, une biographie signée par Véra Barclay [14], intitulée Le saint viking, saint Olaf de Norvège, suivie de courtes présentations des Pères du désert (Moines et dragons), dune Lettre de saint Grégoire à Satan et des Trois victoires de saint Ambroise.
Comme tous les artistes, Pierre Joubert est inspiré quand il sagit de dessiner le diable[15] ou des dragons. Les anges sont plus convenus, même dans lédition illustrée des Oeuvres dArthur Rimbaud (Fleurus, 1995, p. 210) ; saint Michel réalisé en bois [16]. Une vision humo- ristique du paradis est reproduite dans Boute en train (Orme rond, 1983, p. 102).
Jésus ne semble pas très souvent représenté seul dans les revues scoutes. Il faudrait pour le vérifier, procéder à une enquête minutieuse des collections. Mais Pierre Joubert a eu la chance de se rattraper par des commandes spécifiques. En 1950, Marie Fargues publie Dieu aime les hommes : introduction des enfants au catéchisme (Mame, 225 pages). Joubert illustre pour la première fois un ensemble de scènes des évangiles et les sacrements. Il reprendra beaucoup de ses dessins pour lillustration des Evangiles, édition pour enfants par labbé Henri Viot, en 1953. Lédition de luxe de ce volume comporte quatre illustrations en quadrichromie. Nouvelle édition en 1969 sous le titre : Jésus te parle, cest-à-dire LEvangile, avec quelques dessins supplémentaires et une couverture où Jésus parle à des enfants du XXe siècle. Une édition de petit-format, abrégée, intitulée Entrée dans lévangile, a été publiée par Téqui en 1976.
Marie Fargues publie un autre album religieux pour enfants, Jésus est venu, qui connaîtra deux éditions dont les couvertures en quadrichromie diffèrent. La première, en 1951, présen- te Jésus en gros plan, de profil, main levée, avec une ville et une foule en arrière-plan. La seconde montre Jésus au milieu de ses disciples. Cette nouvelle série, en bichromie, de dessins sur les évangiles est plus dépouillée, semble plus libérée des modèles traditionnels que la série pour labbé Viot qui est pourtant publiée ensuite. Faut-il y voir linfluence du client ou de léditeur ?
Lannée liturgique suscite des illustrations régulière et oblige à trouver de nouvelles formes dinterprétation : Noël, Pâques, lAssomption [17] sont les rendez-vous habituels des revues scoutes. Pierre Joubert essaye des actualisations de ces fêtes. Par exemple, la couverture de Noël de Bayard n° 26 montre trois enfants de races différentes pour les trois mages.
Il est difficile didentifier, de représenter la vie chrétienne quotidienne, celle qui correspond aux Béatitudes ou à la parabole du jugement final dans lévangile de Matthieu (25, 31 s.). Parmi les milliers dillustrations de Pierre Joubert, il y en a certaines qui tentent de le montrer. Il faut cependant revoir les textes de près. Dabord ce qui est encore lié à la pratique religieuse : lassistance à la messe [18], la sortie de la messe [19], les pauvres à léglise et une dame patronnesse [20], linterpellation dun gamin pilleur de tronc [21], la restauration dune chapelle, les petits chanteurs [22] etc.
Ensuite, ces gestes et actes qui engagent la foi. Et on peut alors penser à de nombreuses illustrations : réconciliations, services rendus (la fameuse B.A.), accueil de lautre différent et même lexpression de lamitié, thème omniprésent dans la littérature illustrée par P.J.
Les albums de la collection La vie privée des hommes (Hachette) lui donnent loccasion dillustrer des scènes religieuses ou des épisodes de lhistoire. Dans Au temps des royaumes barbares, deux pages sont consacrées aux Clercs, moines et missionnaires dont saint Walfroy, ermite des Ardennes (pages 24-25) ; Les malheurs du temps (p. 26-27) présentent le rôle de léglise pour régler le sort des enfants abandonnés, lassassinat de Prétextat, évêque de Rouen ; Croyances et pratiques magiques avec une fête païenne à Autun, le tombeau de saint Martin vénéré par les fidèles ; Lécole des moines (p. 30-31) ; Les heures de la vie : bénédiction nuptiale, baptême par immersion (p. 32-33) ; Cités et citadins : la procession des baptisés de Pâques (p. 45) ; Dans le quartier des artisans : orfèvrerie religieuse (p. 47). Lalbum Au temps des Mayas, des Aztèques et des Incas... (1981) noublie pas les rites religieux de ces peuples (p. 52-55). Celui qui est consacré Au temps des guerres en dentelle... montre le rôle de léglise dans le domaine des sciences (p. 15), dans la distribution de vivres aux pauvres et lassistance aux condamnés (p. 31), dans léducation (p. 37), mais aussi un jeune abbé jouant à colin-maillard en joyeuse compagnie (p. 41) et Les Eglises et leurs dissidents (p. 56-57).
Il en est de même avec la collection LHistoire illustrée des éditions Ouest-France. Les hommes de la préhistoire (1985) avec les premières sépultures. La France des châteaux forts (1987) où lon découvre le curé présent à la veillée (p. 13), les croisés (p. 17), le pape Clément VI à Avignon (p. 19), le clerc enseignant (p. 30), un mariage (p. 32). Une histoire du Mont Saint-Michel (1985) donne à Pierre Joubert, alors au sommet de son art, loccasion de nombreuses interprétations de lhistoire religieuse, en commençant par un saint Michel combattant le dragon à sept têtes qui menace la Vierge et lenfant. Comme à son habitude, limagier idéalise les enfants et les jeunes tandis que les adultes, au fur et à mesure quils vieillissent, deviennent pitoyables jusquà la caricature...[23] Les moines de Joubert ressemblent à ceux du film Le nom de la rose, adapté de loeuvre dEco. Les moines chevaliers, comme les militaires en général, sont mieux traités (même sil y a comme un stéréotype du baroudeur). Cest le cas dans le petit album Nouveau guide de lhéraldique (p. 15).
Lalbum Une histoire de la France, réalisé à partir dune série de planches pédagogiques, où Pierre Joubert sexprime dune manière différente, plus stylisée, comporte bien sûr les grands moments religieux.
Lhistoire est donc un des registres favoris de Pierre Joubert. Les croisades[24], les chevaliers [25], les sacres [26], la construction des cathédrales etc. sont illustrés avec soin, sauf accident comme ce sculpteur de gargouille qui travaille alors que la sculpture est déjà installée (Scout n° 99, 1938).
Pierre Joubert a aussi peint des gouaches devenus des posters : larrivée de Bernard de Clairvaux à Cîteaux, et, dans la série Enfances, un moinillon enlumineur et le chef de la Croisade des enfants.
Les revues scoutes sont parsemées de dessins à thèmes religieux réalisés par Pierre Joubert. Il ne faudrait pas oublier les ouvrages pédagogiques ou même techniques qui étaient diffusés par les mouvements. La réunion avec laumônier [27], les installations du camp avec lautel et loratoire marial [28], les badges et brevets [29], le service de lautel [30], chevalerie [31], Notre-Dame des Eclaireurs, lEglise [32]. Lalbum Louvetorama des Scouts et Guides dEurope (1985) en est un exemple. La partie religieuse est placée en tête avec de nombreux dessins de P. Joubert.
Quelle place a été retenue pour les illustrations religieuses dans les albums de sélections de loeuvre de Joubert ? Le premier, Pierre Joubert, illustrateur de ladolescence (1ère éd. 1979, 2e en 1985) accorde une petite place si lon prend le thème au sens large : Baudouin, jeune roi lépreux de Jérusalem (LEtoile de pourpre de Dalens), des croisés, la bataille de Lépante, quatre scènes de lEvangile de labbé Viot, un pope et une église de Roumanie et, dans la série humoristique Si les scouts avaient été là !, la révolte des anges et la faute dAdam.
La série des quatre albums Chefs doeuvre de Joubert, édités par Alain Littaye, puis par les éditions Glénat reproduit aussi quelques dessins à thèmes religieux[33].
A loccasion des cinquante ans de la collection Signe de Piste, en 1987, lalbum Les chemins de laventure reprenait une sélection des illustrations consacrées à ces romans. Parmi les belles reproductions agrandies, notons : Joël sous les étoiles (p. 14), Une nuit à lAntonia (15-16), Létoile de pourpre (20-21), La neuvième croisade (graal [34], 81), La croisade des enfants (bataille, 86), Le prince Eric (couronnement, 159). Cette sélection népuise pas le sujet !
Badge dor : 60 ans de dessins pour le scoutisme, 1922-1982 (LOrme rond, 1983) reprend en tête, les dessins consacrés à saint Georges, Jeanne dArc etc. ainsi que la messe au camp, le pèlerinage au Puy (1942). Lédition allemande : Pierre Joubert, Pfadfinder, The Scouts, Les Scouts (Deutscher Spurbuch- verlag, 1992) na retenu que la messe au camp (60), oratoire, prière (89), la communion de la patrouille (91), trois pages sur 138. Lénorme Scouts : recueil dune vie dillustration sur le scoutisme : Pierre Joubert (Delaune, 1998, 764 pages) compte un chapitre Sur les pas de Dieu (p. 501-516) ; les dessins à caractère religieux sont présents aussi dans les chapitres consacrés à la chevalerie scoute (85-100), au cérémonial (101-132) et il y a quelques dessins dans dautres chapitres, par exemple La prière du chef de patrouille (p. 716).
Pierre Joubert avait publié en 1986 : Souvenirs en vrac. Cet album présente lui-aussi une sélection de dessins, mais il y a beaucoup dinédits réalisés spécialement. Peu de dessins à thèmes religieux : Jeanne dArc... en compagnie dun indien (p. 40), le Père Forestier perdu dans la nuit du jamboree de Moisson (92), le faire-part de naissance de Jean-Noël Joubert (115) avec une belle représentation signifiant lenfant don de Dieu ; la page 144 est exceptionnelle, elle regroupe des invitations, images : St François, une crèche, St Rémi, St Dominique, St Pierre Chanel ; et encore, St Georges (p. 156), un ange musicien (157).
Les professionnels du religieux, prêtres, aumôniers, curés, professeurs, moines ne sont pas mieux traités que les autres adultes. Les figures féminines sont plus rares [35].
Cet inventaire sommaire ne donne quun aperçu dun pan important et méconnu de loeuvre de Pierre Joubert. Il y aurait à analyser le sens des représentations, le choix des thèmes, linterprétation quen propose lillustrateur. Une comparaison des Nativité, des Crucifixions ou des représentations mariales ferait apparaître lévolution graphique et la maîtrise du sens des scènes ou des personnages.
Lillustration religieuse de Pierre Joubert est pour lessentiel antérieure au concile Vatican II. Doit-elle pour autant être taxée de conservatrice ? Sur un point de fixation, la communion dans la main, il représente Jésus donnant le pain à Pierre dans la main et le pape faisant de même pour Charlemagne [36]...
Joubert servait lEglise de son temps et la pédagogie dun mouvement de jeunes à une époque de son histoire avant les remises en cause des années 60. Ensuite, il na que la cinquantaine et sept enfants à élever, il travaillera pour des mouvements scouts traditionnels, mais il réussira aussi à diversifier sa clientèle hors du scoutisme. Ami de Serge Dalens [37] (Yves de Verdilhac, un temps membre de la commission de discipline du Front National), Pierre Joubert ne partageait pas ses idées. Lui se disait monarchiste de gauche et il me confiait, après avoir participé à un Forum des chrétiens organisé par Témoignage Chrétien, quil en était sorti, avec son épouse, très heureux.
La famille de Pierre Joubert a repris pour son faire-part de décès quelques mots de la conclusion de son album Souvenirs en vrac ; ils disent son humilité et sa foi : Si mon art a pu, au long de toute ma vie, rallumer de ci, de là, quelques tisons éteints des feux de notre adolescence, que Dieu en soit loué !
Bernard Stelly
Documentation pour connaître Pierre Joubert et son oeuvre. Outre les ouvrages déjà mentionnés :